Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
FOOT REPUBLIK Aïcha Noui
24 octobre 2018

La crise identitaire du football anglais

Article publié sur le site Scribum en 2011.

2489973605_dfbfb127fa

Le football est ancré dans des valeurs et des identités fortes, mais ce statut est précaire. Devant les enjeux économiques colossaux, les mutations opérées dans le monde du football anglais destabilisent les supporteurs historiques et leur conservatisme pourtant nécessaire. Car la globalisation appelle à de nouvelles règles et à des codes devenus insaisissables pour les supporteurs qui ne se reconnaissent plus dans ce football global et mercantile. Le danger d'une perte de sens du championnat anglais n'est désormais plus une simple probabilité mais une certitude.

La disparition des KOPS 

L'une des premières conséquences de ce football global dans les stades anglais est la mutation du supporteur. Son éradication a favorisé l'émergence d'un nouveau public aseptisé.

Des drames ont fatalement placé les kops de supporteurs au centre des débats. La généralisation aidant, ils sont devenus les boucs émissaire du football anglais. Devenus indésirables, ils sont diabolisés puis chassés pour faire de la place à un public plus consumériste, vulnérable aux sirènes du football business.
Dans les années 1980, des drames ont définitivement fait basculer l'opinion et accélérer le processus de remodelage du public dans les stades anglais. Le 29 mai 1985 au stade du Heysel à Bruxelles, la Juventus et Liverpool s'affrontent en finale de la Coupe d'Europe des clubs champions (Ligue des champions aujourd'hui). La tension entre les deux camps de supporteurs est exacerbée. Des conditions de sécurité précaires, des tribunes surchargées et des provocations à double sens, auront raison de la vie de 39 personnes piétinées contre un muret effondré. L'Europe est sous le choc et l'Angleterre traumatisée car ses supporteurs sont montrés du doigt suite à leur charge sur la tribune voisine. La tragédie du Heysel marquera alors un tournant dans la perception des supporteurs.
Mais c'est en 1989 avec la tragédie d'Hillsborough et ses 96 victimes, que les autorités britanniques décident de mettre un terme aux contrôles des tribunes par les supporteurs. Le drame fera évoluer leur condition de façon radicale. Si le mouvement de foule fatal d'Hillsborough n'est en aucun cas lié au hooliganisme, il devient un argument politique en faveur de l'éviction des Kops et de la modernisation des stades.

La sociologie du stade bouleversée

Les autorités imposent des mesures inédites qui vont bouleverser la physionomie du stade: suppression des tribunes debout et des grillages, mise en place des tribunes famille et installation de la vidéosurveillance. Mais c'est l'envolée du billet qui va profondément modifier la sociologie du public dans les stades anglais. Les tickets d'entrée deviennent prohibitifs et pas seulement pour les hooligans, mais pour toute une partie de la "working class". Ce bouleversement social du stade va avoir un impact sur la transformation du football anglais.

La confrontation identitaire que proposait le football et que préservait encore les kops, va devenir une guerre économique féroce entre les clubs les plus riches du pays. En 1992, la First Division devient la Premier League, une conversion qui sonne comme la création d'un nouveau championnat, en rupture totale avec tout ce qui constituait l'essence du football: aller voir son équipe jouer.

Les supporteurs historiques ont perdu leur pouvoir et leur position au sein de l'enceinte sportive. Marginalisés, ils sont réduits à un rôle de contestataires souvent inaudibles. Cette libéralisation excessive a des conséquences désastreuses pour le football et l'éloigne chaque jour un peu plus du sport populaire qu'il était. L'embourgeoisement de la Premier League a fait surgir de nouveaux comportements, de nouveaux publics. Le football anglais est un produit qui se consomme à l'international.


L'avénement du supporteur transnational

Les nouveaux supporteurs ont un point commun: leur vision du football n'est plus identitaire mais globale. L'intérêt pour un club de football n'est plus une affaire de fierté ou de représentation locale. Avec la multiplication des droits de retransmission, la télévision a grandement contribué au modelage de ce nouveau supporteur. La mise en valeur et l'euphorie à outrance suscitées par les exploits des grands clubs anglais et notamment ceux du Big Four - Arsenal, Chelsea, Liverpool, Manchester United - , ont provoqué une adhésion à distance.
Ce basculement géographique du supporteur transformera et signera le déclin du football tel qu'il existe aujourd'hui. Un nouveau sport émerge avec un ancrage identitaire proche du néant. Une vision mondiale du football qui amènera inexorablement à sa perte de sens.
Aujourd'hui un supporteur de Chelsea n'est donc plus seulement originaire des quartiers de Battersea, Hammersmith, Chelsea, ou plus généralement Anglais, mais il peut être Chinois, Français ou Japonais. Ainsi les supporteurs historiques ne se reconnaissent plus dans cette politique mondialisée des clubs dans laquelle leurs spécificités disparaissent. A l'inverse le supporteur transnational est le produit du football business. Cible des publicitaires et des vendeurs de maillot, il est le cheval de Troie d'un football en renoncement à ses valeurs et à ses racines populaires.

Le foot anglais s'achète

Milliardaires, groupements d'intérêt, franchises sportives, fonds de pension ou banques, tous les intérêts mondiaux convergent aujourd'hui vers le football anglais et ses clubs. Pourtant les expériences de rachat s'avèrent rarement fructueuses et vont jusqu'à mettre en péril la pérenité des clubs. Malgré les milliards injectés, les clubs restent dans le rouge. Les clubs anglais cumuleraient les dettes. Et le "Big Four" concentrerait à lui seul un tiers de la dette totale.

Les levées de bouclier des supporteurs historiques constituent les dernières résistances contre le danger de voir leur équipe disparaître dans une événtuelle faillite. C'est une triste possibilité qui continue d'émouvoir les supporteurs de Manchester United. Mobilisés et déterminés depuis 2005 et le rachat du club par les américains Glazer, ils sont rassemblés dans un collectif les Red Knights. Les supporters de United ont dans l'espoir de racheter leur club et ainsi une part de leur histoire. D'autres irréductibles de United ne se reconnaissant plus dans l'image du club, ont fait sécession. Ils soutiennent désormais le FC United of Manchester qui évolue en 7e division. Mais les vives protestations des supporteurs historiques ne sont pas un frein à ces phénomènes de rachat. Lors de la saison 2010- 2011, sur les vingt clubs évoluant en Premiere League, la moitié sont sous pavillon étranger. Les clubs les plus influents, le fameux "Big Four", sont les plus vulnérables.

En 2003, l'oligarque russe Roman Abramovitch s'offre Chelsea. Et les exemples ne s'arrêtent pas là: Malgré les virulentes protestations des supporteurs mancuniens, les industriels américains Glazer prennent le contrôle de Manchester United en 2005. En 2008, c'est au tour de Liverpool de passer sous contrôle américain, les duettistes Tom Hicks et Georges Gillett débarquent à Liverpool. Trois ans après leur prise de pouvoir, Liverpool devenu "Liverpoor", le duo refile la patate chaude à leur compatriote du Consortium américain New England Sport Venture. A Londres, en avril 2011, l'américain Stan Kroenke devient l'actionnaire majoritaire d'Arsenal. Ces nouveaux propriétaires, étrangers au football, bousculent ses codes et ses symboles, et compromettent chaque jour un peu plus les particularismes du football anglais.

Le patrimoine du foot en danger

L'Angleterre et ses stades les plus mythiques d'Europe: Old Trafford, ST James Park, Anfield, mais pour combien de temps encore?
Devant la rentabilité immédiate, les propriétaires n'hésitent plus à sacrifier le patrimoine du football, et exigent désormais la modernisation des stades ou la construction de nouvelles enceintes. Des stades flambant neufs, vierges de tout exploit sortent de terre. Des bijoux technologiques qui nieront jusque dans les sièges l'histoire extraordinaire des clubs.
Le stade d'Highbury, fief d'Arsenal jusqu'en 2006, a été l'une des premières victimes de cette politique. Le stade des Gunners est aujourd'hui devenu une résidence de standing tandis que les chants des supporteurs d'Arsenal résonnent désormais dans un stade aussi impersonnel que leur équipe, l'Emirates Stadium.

Et toujours dans l'optique de juteux profits, Anfield Road devrait être le prochain lieu mythique à être sacrifié sur l'hôtel du football business. En dépit des vives critiques des supporteurs de Liverpool, Anfield et ses 127 ans d'histoire vont disparaître laissant place au Stanley Park et à ses 73000 places.


Des équipes mondialisées en mal de représentation

Le football global n'a de cesse de déplacer le curseur identitaire du football anglais. Les équipes sont emblématiques de ce manque de repère. A travers les deux dernières décennies, il est devenu commun pour un club anglais d'évoluer avec une minorité de joueurs anglais voire parfois aucun. Ces équipes transnationales n'ont plus aucun ancrage avec le territoire qu'elles représentent. Un football anglais en manque de référence et de représentation se développe anéantissant au passage la pouvoir d'identification à son équipe.

Ce football transnational et ses conséquences - éradication des supporteurs historiques, paris truqués, jeunes joueurs exploités, joueurs mercenaires, supporteurs transrégionaux, prise de contrôle par des fonds étrangers, diabolisation des fédérations nationales et leur rôle réduit à néant - , amèneront inévitablement à la perte de sens du football.
Loin d'être circonscrit à l'Angleterre, le phénomène gagne d'autres grands championnats comme le Calcio ou la Ligue 1 avec les rachats respectifs en 2011 de la Roma par un consortium américain et du Paris- Saint-Germain par un fond quatari.

L'exemplarité du football anglais s'arrête net avec la perte de ses particularismes. Malgré l'arrivée de nouveaux capitaux, la Premier League semble avoir perdu sa plus grande richesse: son identité. Et même dans le football, il semblerait qu'il y ait encore des choses qui ne s'achètent pas.

Publicité
Commentaires
FOOT REPUBLIK Aïcha Noui
Publicité
FOOT REPUBLIK Aïcha Noui
Archives
Publicité